Les Images racontent des histoires. Éléments de séries qui appellent d'autres commentaires, d'autres pistes. Instants parfois anciens, montrés avec du temps, avec l'envie seulement de parler du temps qui passe. Et puis des mots écrits et montrés, des expériences. Le temps, même aujourd'hui, à la seconde, là, il passe quand même, il fait récit. Il n'y a pas de nostalgie possible. Cette curieuse envie d'une urgence à prendre son temps pour, aujourd'hui même, regarder. JLK

lundi 25 août 2014

La fonderie et ses modèles

 
  Anne et Patrick Poirier, Curiositas au LU, été 2014 : les modèles
 Atlantic Industrie, Ile de Nantes, 2002 : le magasin de modèles
Atlantic Industrie, Chantenay, 2009 :
en cours de coulée, finition au meulage , pâles en attente d'expédition


La fonderie est un monde à part : l’odeur si particulière des chaleurs et des oxydes, le sable par terre, les poches de coulée soulevées, brutes et massives, le mouvement lent d’un pont roulant, l’inclinaison des masses suspendues et d’un seul coup, le liquide rougeoyant, presque blanc, qui coule à vif pour se perdre aussitôt dans ces caisses closes, bardées de fer, brutes elles aussi et massives tout autant. Il n’y pas d’âge semble-t-il ici, rien qui permette au premier coup d’œil de se raccrocher à un temps ou à un autre. On hésite un peu devant l’aspect des structures, si c’est sale ou si c’est rouillé ; c’est que les rouges et les noirs des sables foulés sont partout, on dirait bien qu’ici tout en est recouvert. Pourtant on y bouge, on s’y active, attentifs et précis. Et puis vient le démoulage, le travail des machines sur la forme, la découpe des parties inutiles : peu à peu surgit du noir sale les fulgurances du métal brillant. Ce n’est pas de l’or bien sûr, mais un alliage de bronze, dont la subtilité des jaunes si vifs a peu à envier à quoi que ce soit qui serait précieux davantage. Et puis il y a la dimension, l’échelle : être debout juste là, mais à côté la pale te domine tout de même sur sa base. Quels sont donc les bateaux si grands qu’ils demandent ces hélices assemblées, parfois de plusieurs mètres de diamètres ?

Ces objets fondus puis façonnés et doucement polis à la perfection par le meuleur, à sa main. Ces objets sortis du sable, encore chauds, à coup de marteau-piqueur parfois parce que ce sable est dur comme la pierre. Ces objets issus d’un tel savoir-faire et d’une telle compétence maîtrisée viennent d’une forme initiale. On nous explique la fonte au sable et les modèles, ces modèles que l’on stocke dans un magasin juste à coté. Une fois la cour traversée, on pénètre dans le hangar qui pourrait paraître en désordre si l’on ne comprenait vite la nécessité d’ordonnancement des pièces monumentales : il en faut de la place au sol pour les loger et y circuler malgré tout. C’est que le modèle fait la taille de l’objet fini, c’est lui qu’on enchâsse dans le châssis plein de sable pour y finaliser la forme précise. C’est lui qui est le résultat du projet du navire, du calcul au départ, de ces courbes duquel on tire une forme pure, déliée et tendue à la fois, comme une sculpture véritable, presque toujours en bois pour celles-ci. Car avec cette élégance et cette force il s’agit bel et bien d’une sculpture. Sans doute n’est-elle dédiée qu’à la forme finale, qui n’est pas elle mais son écho parfait d’après la fusion. Il n’est question ici que de médiation entre les calculs de l’ingénieur et l’assemblage futur du mécanicien. Parfois les modèles sont symétriques, juste inversés pour assurer de concert la rotation à droite ou à gauche si les hélices vont par paire tribord et babord. On apprend à les reconnaître au sein même de l’accumulation de l’entrepôt. Car curieusement c’est ce médium qui reste, le modèle seul, celui qui commandé par l’industriel pour la propulsion lui appartient d’abord, celui qui peut resservir, non seulement pour toutes les pales de l’hélice complète mais pour les suivantes si le navire fait partie d’une série plus importante ou s’il faut en remplacer plus tard un élément défaillant. C’est l’ensemble de ces modèles qui fort heureusement conservés forme aujourd’hui une des plus belles collections patrimoniales de l’histoire de la métallurgie en France.


Après dans les fonderies,  voici à nouveau les fonderies nantaises,  première partie de mon article du   catalogue de l'expo d' Anne et Patrick Poirier, Curiositas . J'avais aussi évoqué  l'élégance des pales.

Voir aussi une autre photographie : déjà exposée et publiée dans le catalogue, p.10
Et puis mon essai sur les hélices comme sculptures calculées

Photographies numériques, 2002, 2009, 2014

mercredi 13 août 2014

D'abord le silence



D’abord
le
silence


rite
rite
du
silence
d’abord
si
lance
le silence
le
écrire
écriture silencieuse
comme
le lire
le fait
de
lire
ce silence
se
taire non
ce n’est pas
se taire
alors
silencieuse
lecture
écriture
la
et puis dire
et
peut-être
le si
oui
pour dire
en suite
en
suite
peut-être
rien
ou si
peu
comme assoupi
au
trompeur
regards trompeurs
les
lance
a lors
si juste
au silence
quelque mots
à dire
d’à bords
donc
revenir
à ce fait même
que
le
comme au début
que ce
silence
naît là

d’une
attention
et
peut-être même
intention
juste
oui
intention
voit

l’intention
même
d’en dire
en
ce cas
secret
d’en écrire
et crire
crire
si fort
pour
non ?
oui
mais enfin
et crire
si fort
que l’écrire
va peut-être
aller
en
silence soi-même
d’une et
coûte
écoute
les écoutes
et
même
en
silence
du lecteur
de
ces lettres
le mot
pour en y
être
vrai
vrai
enivrer
pour y être
mais
parler ensuite
le mot compte
juste
un seul mot
premier
peut
être
celui là vaut
la peine
d’être
dit
si lent
premier
débuts
le premier mot
sort
débats
du rite silencieux
de ce dessin
répété
sans bruit
les lettres
mot répété des lettres
ces mots d’abord
et juste
même
celui-là
au silence dit
juste
fulgurance
en lenteur
si lent
silencieuse
lenteur
le mot
premier
s’est
dit
il
s’est
écrit
donc
silence
d’abord
donc
ce rite
non dit
des dessins
courbe
si simple formée
dessin
de
sens
rite
du sens
formé
la lettre
veut dire
si
à plusieurs
si même
silencieux
plusieurs savent
ce dessin là
sûr
et la lettre
dite
à d’autres
sue
juste
ces
lettres
d’abord
et
silence
le
tu

tu
rien
qui
écoutes
tenant
main
maintenant
l’écoute
écoutes
rien
qui
ce que ça
coûte
si juste
ces mots
simplement
assemblés de la lettre
lettre écrite
en lecture dite
puis lue
et puis
et
ne pas
épuiser
et passer outre
ne plus taire
ne plus se taire
et même
se terrer
ne plus
non
juste
se dire
entre
nous
qui nous
sommes
rien juste
que l’écoute
oui même
ça
si
te coûte
des plusieurs
après
lettres ensembles
premières dites

(janvier-février 2003)

D'abord le silence,poème animé, 2014

Si vite dans le bleu du ciel





Pendant deux ou trois ans après l'arrivée ici, des martinets nichaient entre deux briques juste au-dessus de la lucarne de la chambre. Pourquoi le nid est-il devenu inutile ? Peut-être maintenant passent-ils un peu plus loin de la maison ceux qui vivent là pour l'été.
A certains jours de mai, la première silhouette fugace, la première stridence, me sont les marqueurs favoris des chaleurs à venir. De l'enfance, j'ai gardé ces heures passées au grenier pour les voir (grenier qui n'en était pas un d'ailleurs puisque maison de ville mais dernier étage pas vraiment occupé). Leur plané si rapide et précis me fascine depuis toujours, tout comme cette allure à frôler les murs, les sifflements partagés du groupe en chasse, fulgurance précise. On  y pense peut-être moins que pour les grands oiseaux, dont forcément le vol plus lent paraît parfois plus majestueux, mais les martinets sont des voiliers incomparables. A longtemps les regarder j'avais vu bien vite que la proportion de leurs ailes fines et longues les dotaient d'une envergure formidable, tellement qu'il leur est impossible de décoller à terre. Souvenir lointain de celui-là blessé dans le jardin et nous si démunis. Le sol étant mortel, il leur faut rester en l'air même la nuit et au moins nicher en hauteur.
J'ai eu à nouveau un temps la chance d'entendre les envols, le bruit des ailes qui s'élancent, le saut dans le vide véritablement, pour gagner la portance nécessaire. Et puis les passages comme l'éclair.
... Saisir le passage.

Photographies numériques, Lumix DMC-LX1, juin 2008, Couëron

samedi 9 août 2014

Netherworld



Atteindre un moment le noir parfait, cette longueur du noir, revenir peu à peu au regard par un blanc qui émerge, s'agrandissant peu à peu en cercle, et puis à nouveau le cycle des couleurs. S'approcher, tourner autour, se taire.
Yuko Shiraishi est invitée à Pollença. C'est à Mallorca, au nord de l'île, tout près du cap Formentor, là où se jette en falaises abruptes la Serra de Tramuntana dans la mer. Depuis quelques années, un(e) artiste est convié(e) chaque été à occuper l'intérieur de l'église de l'ancien couvent Saint-Dominique.

La ville est festive dit-on, nous l'avons vérifié. Après le passage de la fanfare locale, jeunes et moins jeunes se mélangeaient dans l'après-midi, entre rires et verres à bière sous les ombrages d'un seul coup assourdissants du Ca'n Moixet, le café à l'angle. Je veux dire que oui, les deux ou trois cents conversations mélangées étaient vraiment plus bruyantes que la fanfare. Fête patronale pouvait-on-lire et l'impression assurée que tout le village était réuni pour l'occasion. Le soir au couvent, les plus âgés se rassemblaient endimanchés et attentifs pour un concert de l'harmonie municipale. On y distribuait des éventails rouges à l'entrée ; une toute jeune femme, époustouflante dans sa courte robe grise élégamment brillante, veillait à tout en chef de cérémonie.

Faire dix mètres, contourner un de ces incroyables oliviers séculaires, passer la porte. Se retrouver dans le noir, s'habituer un peu. Plus rien des émois du dehors. Oublier.
Au centre, une construction simple s'ouvre comme un tryptique sur une zone plus profonde, parallélépipède juste clos par ces mêmes baguettes d'acier qui font tout le volume : au sol de la clôture, pourtant si ouverte aux regards, une forme oblongue git tranquille, à l'évidente échelle de l'homme. Donc être dans l'église,  il y fait presque noir mais sentir les lumières moduler un peu, voir cette gamme changeante jouer sur les carrelages tout comme souvent de certains vitraux, atteindre un moment le noir parfait, cette longueur du noir, revenir peu à peu au regard par un blanc qui émerge, s'agrandissant peu à peu en cercle, et puis à nouveau le cycle des couleurs. S'approcher, tourner autour, se taire.
Jusqu'à la croix des fils d'acier sur le "corps" allongé, penser de suite aux gisants de l'art chrétien,   mais à lire le catalogue réaliser ensuite que la référence est plus lointaine, celle des sarcophages de l’Égypte ancienne. Il y a ici le parfait équilibre de la mort et du sépulcre. Représentation millénaire de l'espace partagé de la fin de la vie, cette certitude ; représentation qui passerait ainsi doucement d'une forme à l'autre, à peine autre en traversant les cultures.
Netherworld, indique Shiraishi : cet autre monde, peut-être inférieur pour certains, celui qui est sans retour. La mort toujours interrogée de ce qui reste ou pas du passage. Chez nous,  on dit repose en paix, et d'évidence il s'agit bien de paix à Pollença.


Yuko Shiraishi, Netherworld, Pollença, été 2014, église du couvent Saint-Dominique, acier, éclairages led.
[catalogue trilingue (catalan, castillan, anglais), Ajuntament de Pollença, juillet 2014, 48p., illustrations], http://www.yukoshiraishi.com/

Photographies numériques, Lumix DMC-LX7, Pollença (Mallorca), juillet 2014

lundi 4 août 2014

Passe-Muraille

Lilou,  c'est un peu le chat de la rue, pas la grande, là ou les voitures passent parfois un peu trop vite quand elles descendent, mais la petite, celle qui est derrière, là où les piétons du quartier sont vraiment plus nombreux que tout le reste, les autres véhicules, quand il en passe, des autres. Lilou donc, c'est la voisine d'en face de cette petite rue - enfin notre en face - qui s'en occupe désormais ; parce que, allez savoir pourquoi, le chat de la rue a changé de maison. Lilou est un habitué des piétons, de la chaleur du soleil sur le sol et de certains murs. Mais Lilou vieillit ; il suffit de croiser son regard pour  bien voir qu'il se passe des choses quand on vieillit. Lilou devient aveugle peu à peu malgré les nouveaux soins attentifs de la voisine, celle de notre en face. Il s'y reconnait pourtant parce qu'ici les formes et les échelles sont suffisamment stables pour ses repères à lui. Il y a comme cette chatière en hauteur pour entrer par le mur dans son jardin.
Aujourd'hui comme souvent, il était dans le passage comme en un bel abri, serein, tranquille, avec de la hauteur juste comme il faut. Sa fourrure dépassait un peu et vibrait doucement au soleil. La lumière du matin jouait dans les camaïeux clairs des marrons et des gris, les mêmes exactement que ceux du mur. Étrange palette à la fois minérale et vivante. Lilou était absolument dans le mur peut-être comme il est désormais dans l'entre-deux des couleurs, de son passage à lui. C'est par là qu'il passe la muraille.

Photographie numérique, Lumix DMX-LX7, Couëron, août 2014