Anne et Patrick Poirier, Curiositas au LU, été 2014 : les modèles
Atlantic Industrie, Ile de Nantes, 2002 : le magasin de modèles
Atlantic Industrie, Chantenay, 2009 :
en cours de coulée, finition au meulage , pâles en attente d'expédition
La fonderie est un monde à part :
l’odeur si particulière des chaleurs et des oxydes, le sable par terre, les poches
de coulée soulevées, brutes et massives, le mouvement lent d’un pont roulant,
l’inclinaison des masses suspendues et d’un seul coup, le liquide rougeoyant,
presque blanc, qui coule à vif pour se perdre aussitôt dans ces caisses closes,
bardées de fer, brutes elles aussi et massives tout autant. Il n’y pas d’âge
semble-t-il ici, rien qui permette au premier coup d’œil de se raccrocher à un
temps ou à un autre. On hésite un peu devant l’aspect des structures, si c’est
sale ou si c’est rouillé ; c’est que les rouges et les noirs des sables
foulés sont partout, on dirait bien qu’ici tout en est recouvert. Pourtant on y
bouge, on s’y active, attentifs et précis. Et puis vient le démoulage, le
travail des machines sur la forme, la découpe des parties inutiles : peu à
peu surgit du noir sale les fulgurances du métal brillant. Ce n’est pas de l’or
bien sûr, mais un alliage de bronze, dont la subtilité des jaunes si vifs a peu
à envier à quoi que ce soit qui serait précieux davantage. Et puis il y a la
dimension, l’échelle : être debout juste là, mais à côté la pale te domine
tout de même sur sa base. Quels sont donc les bateaux si grands qu’ils
demandent ces hélices assemblées, parfois de plusieurs mètres de diamètres ?
Ces objets fondus puis façonnés et doucement
polis à la perfection par le meuleur, à sa main. Ces objets sortis du sable, encore
chauds, à coup de marteau-piqueur parfois parce que ce sable est dur comme la
pierre. Ces objets issus d’un tel savoir-faire et d’une telle compétence
maîtrisée viennent d’une forme initiale. On nous explique la fonte au sable et
les modèles, ces modèles que l’on stocke dans un magasin juste à coté. Une fois
la cour traversée, on pénètre dans le hangar qui pourrait paraître en désordre
si l’on ne comprenait vite la nécessité d’ordonnancement des pièces
monumentales : il en faut de la place au sol pour les loger et y circuler
malgré tout. C’est que le modèle fait la taille de l’objet fini, c’est lui
qu’on enchâsse dans le châssis plein de sable pour y finaliser la forme
précise. C’est lui qui est le résultat du projet du navire, du calcul au
départ, de ces courbes duquel on tire une forme pure, déliée et tendue à la
fois, comme une sculpture véritable, presque toujours en bois pour celles-ci.
Car avec cette élégance et cette force il s’agit bel et bien d’une sculpture.
Sans doute n’est-elle dédiée qu’à la forme finale, qui n’est pas elle mais son
écho parfait d’après la fusion. Il n’est question ici que de médiation entre
les calculs de l’ingénieur et l’assemblage futur du mécanicien. Parfois les
modèles sont symétriques, juste inversés pour assurer de concert la rotation à
droite ou à gauche si les hélices vont par paire tribord et babord. On apprend
à les reconnaître au sein même de l’accumulation de l’entrepôt. Car
curieusement c’est ce médium qui reste, le modèle seul, celui qui commandé par
l’industriel pour la propulsion lui appartient d’abord, celui qui peut
resservir, non seulement pour toutes les pales de l’hélice complète mais pour
les suivantes si le navire fait partie d’une série plus importante ou s’il faut
en remplacer plus tard un élément défaillant. C’est l’ensemble de ces modèles
qui fort heureusement conservés forme aujourd’hui une des plus belles
collections patrimoniales de l’histoire de la métallurgie en France.
Après dans les fonderies, voici à nouveau les fonderies nantaises, première partie de mon article du catalogue de l'expo d' Anne et Patrick Poirier, Curiositas . J'avais aussi évoqué l'élégance des pales.
Voir aussi une autre photographie : déjà exposée et publiée dans le catalogue, p.10
Et puis mon essai sur les hélices comme sculptures calculées
Photographies numériques, 2002, 2009, 2014
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