Atteindre un moment le noir parfait, cette longueur du noir, revenir peu à peu au regard par un blanc qui émerge, s'agrandissant peu à peu en cercle, et puis à nouveau le cycle des couleurs. S'approcher, tourner autour, se taire.
Yuko Shiraishi est invitée à Pollença. C'est à Mallorca, au nord de l'île, tout près du cap Formentor, là où se jette en falaises abruptes la Serra de Tramuntana dans la mer. Depuis quelques années, un(e) artiste est convié(e) chaque été à occuper l'intérieur de l'église de l'ancien couvent Saint-Dominique.
La ville est festive dit-on, nous l'avons vérifié. Après le passage de la fanfare locale, jeunes et moins jeunes se mélangeaient dans l'après-midi, entre rires et verres à bière sous les ombrages d'un seul coup assourdissants du Ca'n Moixet, le café à l'angle. Je veux dire que oui, les deux ou trois cents conversations mélangées étaient vraiment plus bruyantes que la fanfare. Fête patronale pouvait-on-lire et l'impression assurée que tout le village était réuni pour l'occasion. Le soir au couvent, les plus âgés se rassemblaient endimanchés et attentifs pour un concert de l'harmonie municipale. On y distribuait des éventails rouges à l'entrée ; une toute jeune femme, époustouflante dans sa courte robe grise élégamment brillante, veillait à tout en chef de cérémonie.
Faire dix mètres, contourner un de ces incroyables oliviers séculaires, passer la porte. Se retrouver dans le noir, s'habituer un peu. Plus rien des émois du dehors. Oublier.
Au centre, une construction simple s'ouvre comme un tryptique sur une zone plus profonde, parallélépipède juste clos par ces mêmes baguettes d'acier qui font tout le volume : au sol de la clôture, pourtant si ouverte aux regards, une forme oblongue git tranquille, à l'évidente échelle de l'homme. Donc être dans l'église, il y fait presque noir mais sentir les lumières moduler un peu, voir cette gamme changeante jouer sur les carrelages tout comme souvent de certains vitraux, atteindre un moment le noir parfait, cette longueur du noir, revenir peu à peu au regard par un blanc qui émerge, s'agrandissant peu à peu en cercle, et puis à nouveau le cycle des couleurs. S'approcher, tourner autour, se taire.
Jusqu'à la croix des fils d'acier sur le "corps" allongé, penser de suite aux gisants de l'art chrétien, mais à lire le catalogue réaliser ensuite que la référence est plus lointaine, celle des sarcophages de l’Égypte ancienne. Il y a ici le parfait équilibre de la mort et du sépulcre. Représentation millénaire de l'espace partagé de la fin de la vie, cette certitude ; représentation qui passerait ainsi doucement d'une forme à l'autre, à peine autre en traversant les cultures.
Netherworld, indique Shiraishi : cet autre monde, peut-être inférieur pour certains, celui qui est sans retour. La mort toujours interrogée de ce qui reste ou pas du passage. Chez nous, on dit repose en paix, et d'évidence il s'agit bien de paix à Pollença.
Yuko Shiraishi, Netherworld, Pollença, été 2014, église du couvent Saint-Dominique, acier, éclairages led.
[catalogue trilingue (catalan, castillan, anglais), Ajuntament de Pollença, juillet 2014, 48p., illustrations], http://www.yukoshiraishi.com/
[catalogue trilingue (catalan, castillan, anglais), Ajuntament de Pollença, juillet 2014, 48p., illustrations], http://www.yukoshiraishi.com/
Photographies numériques, Lumix DMC-LX7, Pollença (Mallorca), juillet 2014
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